Le « Mal-Logement » au cœur des enjeux urbains

La fonction de Bourgmestre offre des moments extraordinaires et gratifiants pour celui ou celle qui en exerce la charge. Mais toute mission maïorale passe aussi par la gestion d’imprévus, de complications, voire de tragédies qui frappent tout ou partie de la population d’une entité.

Un exemple tout récent, survenu aux confins des communes d’Anderlecht et de Molenbeek-Saint-Jean, a mis en avant la nécessité de se tenir prêt, à chaque instant, à affronter les situations les plus graves.

L’incendie tragique qui a éclaté dans la nuit du lundi 19 avril, dans un immeuble situé rue Heyvaert, au cœur du quartier populaire de Cureghem et qui a coûté la vie à trois personnes, est l’un des exemples de la nécessité absolue, pour les dirigeants locaux que nous sommes, de prévoir d’accompagner les personnes confrontées de manière inopinée à un événement tragique.

Dans ce cas-ci comme dans d’autres drames analogues, le Bourgmestre se doit de participer en personne à la formidable mobilisation des équipes de secours composées des pompiers, du personnel médical, des policiers locaux et fédéraux, des équipes communales et du CPAS chargées de l’accompagnement social des victimes privées de logement.

Cet incendie de la rue Heyvaert a éclaté dans un quartier ancien composé d’immeubles souvent vétustes, où persistent encore et toujours certaines activités économiques qui s’accommodent mal des standards actuels de qualité de vie en ville. Le quartier – à cheval sur nos deux communes – est en effet un secteur à très forte densité de population, où manquent malheureusement encore bien trop de choses pour offrir aux habitants le confort et la sécurité de vie auxquels ils ont légitimement droit.

Dans le cas de ce tragique incendie et dans l’attente des conclusions de l’enquête, on peut d’ores et déjà affirmer que ce sinistre concerne clairement un immeuble en tous points semblable à d’autres édifiés dans le quartier. On constate une sur-occupation des appartements, une vétusté générale et un état tout à fait révélateur de ce que l’on qu’on qualifiera désormais de « Mal-Logement ».

Au quotidien, le suivi des dossiers de bâtiments vétustes n’est pas aisé au niveau du Pouvoir communal. En effet, aux yeux de la loi, l’administration communale est tenue d’inscrire formellement les personnes à l’adresse où leur présence a été valablement constatée par un Inspecteur de quartier, ceci sans qu’il soit tenu compte de l’état général du logement.

Dans ce domaine, l’arme du Bourgmestre, c’est l’arrêté d’inhabitabilité. A la demande d’un locataire faisant état du mauvais état de son logement, le Bourgmestre a le pouvoir d’ordonner une visite technique de l’habitation, d’en faire dresser l’état des lieux et de frapper, le cas échéant, le logement d’un arrêté d’inhabitabilité.

Nous en signons de nombreux mais il convient de reconnaître que, faute de moyens, il n’est pas possible d’envisager une inspection systématique de tous les immeubles situés sur le territoire d’une commune. Cette volonté, même si elle pouvait être rencontrée, se heurterait d’ailleurs à un obstacle juridique de taille puisqu’il n’est pas permis de pénétrer le domicile de quelqu’un sans son consentement, si l’on excepte les interventions policières ou juridiques dûment mandatées par un juge.

Et surtout, de semblables opérations nécessiteraient de disposer de nombreux autres logements libres, permettant d’abriter tout de suite les occupants d’un logement déclaré inhabitable. Or, on sait qu’aucune commune ne dispose malheureusement d’un parc de logements suffisants pour envisager une telle hypothèse, hormis pour des situations de nature à compromettre grandement la sécurité des habitants.

Cependant, le « Mal-Logement » dans ces quartiers anciens de Bruxelles ne peut demeurer une fatalité.
Nous en sommes conscients et les pouvoirs publics ont décidé, autant que possible, de mettre en œuvre les moyens voulus pour réhabiliter des secteurs entiers de nos communes.

C’est ainsi que pour le quartier concerné par la tragédie de lundi, une série d’initiatives publiques sont en cours d’exécution. Nous pensons en particulier au Plan d’Aménagement Directeur, le PAD, qui permet de définir une stratégie de développement et de reconversion du quartier en veillant à y accueillir des activités économiques mieux intégrées au tissu urbain.

Le quartier Heyvaert – avec son riche passé productif et la morphologie particulière de ses grandes parcelles de bâti- offre en effet de nombreuses possibilités de construire « La Ville de Demain ». Une ville où cohabiteront harmonieusement du logement, des équipements scolaires, culturels et récréatifs, des espaces verts, mais où se dérouleront aussi des activités productives offrant des emplois de proximité.

Pour participer à la concrétisation de ces louables objectifs, les communes d’Anderlecht et de Molenbeek-Saint-Jean bénéficient conjointement d’un Contrat de Rénovation Urbaine, le CRU, dont la coordination est assurée par les instances de la Région bruxelloise. Ce contrat va permettre à nos deux communes de rénover des espaces publics, d’acquérir des parcelles en vue de créer des espaces verts, de construire de nouveaux logements sociaux, d’aménager des équipements collectifs, de maintenir une activité productive centrée sur les aspects de circularité et de réemploi des matériaux,…

A terme, l’objectif global est évidemment de maximiser les logements publics afin d’éviter toute forme de confiscation du quartier au seul bénéfice de nouveaux habitants plus nantis, excluant de la sorte celles et ceux qui y vivent actuellement. L’avenir du quartier sera donc mixte et il peut clairement s’envisager avec optimisme.

Pour l’heure cependant, ces belles visions des lendemains des quartiers de Cureghem et Heyvaert ne sont exposées que sur papier.

La tragédie du lundi 19 avril nous force à nous mobiliser – toutes autorités confondues – pour accélérer sensiblement la reconversion de ces quartiers anciens. Les populations qui y vivent cumulent les difficultés sociales. Les jeunes notamment– présents en très grand nombre – n’y vivent trop souvent que dans une perspective « de débrouille » tant les problèmes du quotidien apparaissent, à leurs yeux, insurmontables.

A l’échelle régionale, il s’agit aussi que tous les politiques se mettent en marche pour créer davantage de logements publics et en particulier, de logements sociaux.

Ceci permettra de lever la pression terrible qui existe aujourd’hui à Bruxelles sur le segment le plus défavorisé du logement.

En tant que bourgmestres d’Anderlecht et de Molenbeek, nous en appelons à une mobilisation immédiate pour replacer tout en haut des priorités politiques l’urgence d’amplifier fondamentalement les investissements concrets dans les espaces publics et les logements de ces quartiers.

Après ce tragique incendie et un confinement pour le moins exigeant pour ces populations qui vivent encore plus difficilement le « Mal-Logement », il est de la responsabilité des acteurs publics d’entrer plus encore dans le champ de l’action.

Vu l’urgence, les autorités communales seront pleinement mobilisées pour participer à leur juste mesure à cette dynamique globale.

Le Bourgmestre d’Anderlecht,
Fabrice CUMPS

La Bourgmestre de Molenbeek- Saint-Jean,
Catherine MOUREAUX